Archive pour avril 2012

24
Avr
12

Le rôle clé des Etats-Unis dans la régulation du commerce des armes

Les Etats-Unis sont de très loin le plus grand pays exportateur d’armes au monde. Il leur est imputé environ 50% de la valeur totale des exportations mondiales d’armes. Si l’Etat américain exporte son large éventail d’armes à de nombreux pays, les Etats-Unis sont également devenus un important pays fournisseur d’armes fabriquées par d’autres pays.

Membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, les Etats-Unis jouent d’un rôle géopolitique majeur au sein de la communauté internationale. Leur position à propos du traité sur le commerce des armes (TCA) sera donc d’autant plus influente et importante par rapport aux autres Etats.

Hilary Clinton et les autorités américaines ont  exprimé leur soutien à un traité sur le commerce des armes à partir seulement de 2009, alors que la précédente administration Bush s’y était opposé, votant même contre le processus une année aux côtés du Zimbabwe – étrange allié de circonstance. Comme condition à leur engagement, ils ont imposé la règle du consensus pour l’adoption du texte soit l’expression d’un accord unanime sur un futur traité. La condition du consensus leur permet d’avoir une main mise sur le processus de négociation et risque de déboucher sur un traité au contenu faible voire sur l’impossibilité même de rédiger un texte de traité. Faisant ainsi le jeu d’Etats encore plus opposés au principe d’un traité.

De plus, les déclarations des autorités américaines restent très faibles. Il en est ainsi des critères d’appréciation que fixerait le traité pour s’assurer que les armes transférées ne soient pas fournies à de mauvaises mains ni à un destinataire final qui pourrait les utiliser pour commettre de graves violations du droit international humanitaire et des droits humains.

En fait, les Etats-Unis défendent une conception non contraignante. Ils font parties de ces Etats qui veulent proposer qu’en cas de risque substantiel de violations des droits humains résultant d’un transfert le TCA oblige simplement les États « à tenir compte » du risque et ne veulent pas y inclure une obligation de refuser la demande d’autorisation de  transfert d’armes. Une  telle  approche affaiblirait considérablement le TCA. Car même si les violations perpétrées avec les armes importées se révèlent « graves » et s’il y a un risque substantiel que les armes dont le transfert est sollicité soient utilisées pour commettre ces violations, l’État exportateur n’aurait pas l’obligation d’empêcher ce transfert.

Un autre aspect inquiétant de la position américaine à propos du traité sur le commerce des armes est la déclaration faite en 2010 annonçant l’opposition des Etats-Unis à l’inclusion des munitions dans le cadre du traité. La raison donnée pour justifier cette position est que si les transferts internationaux de certains types de munitions sont rapportés et rendus public, cela pourrait déstabiliser les relations internationales.

Cependant, l’administration américaine admet que les Etats-Unis régulent déjà de tels transferts. Le problème serait donc davantage lié aux mécanismes de transparence que proposerait le TCA. Notons que seulement 35 Etats publient régulièrement des rapports nationaux sur leurs transferts d’armes et que ces derniers reportent de telles généralités que bien souvent, ils ne permettent pas de rendre compte fidèlement ce qui est vendu, à qui et surtout pour quelle utilisation…

La législation américaine sur les armes est détaillée et complexe. Cependant, aucune disposition du droit américain ne prévoit expressément qu’une autorisation d’exportation doit être refusée lorsque les armes sont susceptibles d’être utilisées pour commettre des violations des droits humains. Les lois américaines se contentent de prévoir d’une part que les droits humains doivent entrer en ligne de compte dans les décisions d’autoriser des exportations d’armes, et d’autre part que les transferts d’armes doivent être refusés si le gouvernement destinataire commet des violations flagrantes des droit humains.

Aucune de ces approches n’est satisfaisante : la première n’est pas assez contraignante et la seconde est trop souvent utilisée comme une mesure punitive. Aussi l’argument du gouvernement américain consistant à dire qu’un traité sera toujours plus faible que leur propre législation est intenable.

La semaine dernière, les autorités américaines se sont exprimées sur leur position en vue de la prochaine conférence de juillet sur le TCA en se montrant sceptique quant à l’efficience d’un tel traité en déclarant : « Un TCA efficace pourrait permettre des échanges diplomatiques un peu plus clairs, mais il ne changera pas fondamentalement la nature de la politique internationale et il ne pourra mettre un terme aux conflits internationaux et aux conflits civils. »

Les Etats-Unis ont également réaffirmé leur volonté d’exclure les munitions du champ du traité en déclarant que leur inclusion était impossible puisqu’ils en produisent plus de 7 milliards par an.

Enfin, le droit américain comporte des dispositions, notamment en matière de sécurité nationale et de politique étrangère, qui permettent de faire passer les droits humains au second plan dans la prise de décision, comme le montrent à l’évidence certains précédents transferts d’armes autorisés. En effet, les Etats-Unis n’ont pas été très regardants sur la situation des droits humains en Colombie quand ils ont accordé une aide militaire de 50 millions de dollars en 2011 malgré les violations commises par les groupes armés gouvernementaux et paramilitaires. De même, les autorités américaines ont autorisé le transfert d’armes au Bahreïn, à l’Egypte ou encore au Yémen. Des pays qui répriment aujourd’hui leurs populations de façon meurtrière en violant le droit international et les droits humains. Entre 2007 et 2010, les Etats-Unis ont exporté pour plus de 4 millions de dollars de munitions à l’Egypte. Fin 2011, le bilan de la répression égyptienne s’élevait à 840 morts et plus de 6000 blessés. (Source : rapport MENA).

Comme nous le voyons, lors du Printemps arabe, les procédures de contrôle des exportations d’armes des Etats-Unis n’ont pas réussi à empêcher des transferts internationaux d’armes aux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, dans lesquels existait un risque sérieux que ces armes soient utilisées pour commettre de graves violations du droit international relatif aux droits humains ou du droit international humanitaire. Il est donc nécessaire que les Etats-Unis s’engagent pleinement, comme pays leader, dans le processus d’élaboration du TCA afin de lui donner une vraie effectivité. En tant que principal pourvoyeur en armes du monde, il y va de leur responsabilité. Il faut tirer les leçons du printemps arabe.

18
Avr
12

Vente d’armes, la France face à ses responsabilités

La France est le quatrième exportateur d’armes au monde. En 2010, les commandes d’armes adressées à la France s’élevaient à plus de 5 milliards d’euros. Entre 2006 et 2010, elle a livré pour plus de 10 milliards de matériel militaire. Même si la France se classe loin derrière les Etats-Unis, elle fait partie du club très fermé des grands vendeurs d’armements, ce qui lui confère une place particulière sur la scène mondiale d’autant plus qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. A ce titre, elle se doit d’œuvrer à la paix et la sécurité internationale avec toute la célérité qu’il se doit. Parallèlement, elle accueille le plus grand salon de l’armement terrestre au monde tous les deux ans ce qui fait de Paris une place incontournable. Il s’agit du salon Eurosatory (11-15 juin 2012).

Avril 2012, la France fait partie des pays leaders pour l’adoption d’un traité international sur le commerce des armes classiques. Il s’agit du premier traité du genre, autant dire que c’est une « première » historique. Il doit être adopté en juillet 2012 aux Nations unies à New York. La dernière fois qu’il a été question d’encadrer la vente d’armes dans le monde, il faut remonter à l’entre deux-guerres, dans les années 1920, autant dire qu’il y a urgence. La France a déclaré son soutien à un tel traité dès 2005.

L’ambition qui se cache derrière ce traité est colossale : imposer à l’ensemble des Etats l’interdiction de tout transfert d’armes à tout pays acheteur dès lors qu’il existe un risque substantiel de violations graves des droits humains ou du droit international humanitaire par ce dernier. Du jamais vu et en toile de fond un espoir jamais satisfait, celui de protéger les populations civiles d’un commerce des armes trop souvent meurtrier alors qu’elles en sont les principales victimes. Il s’agit fondamentalement pour les ONG engagées sur le traité de renverser la pratique habituelle des exportations d’armes fondée sur des intérêts d’abord géopolitiques et économiques sans nier le droit des Etats à s’armer à des fins légitimes de sécurité extérieure ou intérieure.

La France, grande exportatrice, est aussi un pays qui dispose d’un système de contrôle à l’exportation développé. Le principe est l’interdiction du commerce des armes, seules les ventes autorisées à titre dérogatoire par la puissance régalienne peuvent être autorisées. Mais alors que dire de la France. D’abord, le système français en matière d’exportation d’armes est insuffisant. La France n’est toujours pas dotée par exemple d’une règlementation spécifique encadrant l’action des courtiers en armements et de tous ces acteurs qui gravitent autour des contrats d’armements. Quant au contrôle démocratique via le parlement il est nul et quasi inexistant. Depuis 10 ans que la France rend compte de ses ventes d’armes auprès des élus de la nation aucun débat public n’a jamais eu lieu à quelques exceptions qui brisent la règle comme lors des événements en Tunisie début 2011. Le silence est la règle, on ne commente pas les ventes d’armes de la France, sauf événement international – en réaction donc. L’inertie parlementaire entretien le manque de transparence des exportations françaises qui est l’un des grands défauts de la France. Il n’est pas possible aujourd’hui de savoir avec précision ce que la France vend, à qui, pour quelle utilisation … Le comble dans une démocratie. Certains élus se mobilisent pourtant.

Et à raisons car les ventes d’armes de la France sont questionnables. Si elles ne sont pas illégales certaines apparaissent comme irresponsables comme en Egypte, Syrie, Libye ou au Bahreïn. Le traité doit permettre à la France de réduire cet écart existant entre sa pratique commerciale et le nécessaire respect des droits fondamentaux des populations civiles en revoyant sa politique à l’exportation.  La France doit s’engager à adopter le traité le plus efficace possible qui défende les droits humains, en entraînant avec elle les Etats-Unis, la Russie et la Chine autres grands pourvoyeurs en équipements militaires en tout genre. Il en va de sa responsabilité.

13
Avr
12

Violences liées aux armes : les femmes en première ligne

Elles s’appellaient Liz, Claudina ou Chaya, aux États-Unis ou en France abattues chez elles, au Guatemala ou en Afghanistan tombées dans la rue. Des femmes et des fillettes, partout, meurent par balles, sont blessées ou encore violées, torturées sous la menace des armes. Elles sont des millions à vivre dans la crainte de la violence armée. Un état de fait qui s’explique par deux facteurs déterminants : la prolifération des armes légères et la discrimination dont les femmes font l’objet, quasiment partout.

Les chiffres d’abord.

Aujourd’hui, 900 millions d’armes légères circulent  dans le monde. 60 % étant détenues par des personnes privées, essentiellement des hommes. Conséquence : les femmes sont victimes de façon disproportionnée car ce ne sont jamais elles qui achètent ou vendent les armes.

En cause : leur statut d’infériorité par rapport aux hommes, et ce, dans toutes les sociétés et dans toutes les classes sociales. Les femmes sont victimes des armes à feu partout, dans leur foyer et à l’extérieur, en temps de paix comme en temps de guerre.

 

Peu de textes spécifiques existent pour les protéger : La Convention interaméricaine sur la prévention et l’élimination de la violence contre la femme, adoptée en 1994 et la Résolution 1325 adoptée en 2000 aux Nations Unies qui associe les femmes aux prises de décision à tous les niveaux et qui prend en compte les besoins particuliers des femmes et des petites filles dans les camps de réfugiés.

L’adoption et l’application du TCA (Traité sur le commerce des armes) devient une urgence planétaire, un pas vers plus de respect des droits humains pour des milliers de femmes et de fillettes.

03
Avr
12

Des armes européennes utilisées pour violer le droit international en Libye

En janvier 2011, il était difficile d’imaginer que les manifestations antigouvernementales s’étendraient à toute la Libye et aboutiraient fin février à un conflit armé qui bouleverserait cet État pétrolier d’Afrique du Nord. Le colonel Mouammar Kadhafi tenait alors fermement le pays, comme il le faisait depuis 42 ans, et la plupart de ses opposants étaient réduits au silence, en prison ou en exil.

Cependant, au fil de l’année 2011, avec l’aggravation du conflit intérieur, le dirigeant libyen s’est retrouvé de plus en plus isolé sur le plan national comme international. À Benghazi, l’opposition a mis en place une coalition – le Conseil national de transition (CNT) – qui a été proclamée gouvernement provisoire. Le 26 février, le Conseil de sécurité des Nations unies a imposé des sanctions au colonel Kadhafi et à sa famille, et a saisi le procureur de la CPI de la situation en Libye. En mars, une coalition internationale dirigée par l’OTAN a engagé des frappes aériennes dans le but déclaré de « protéger les civils » des forces de Kadhafi, qui menaçaient alors d’attaquer Benghazi.

Après environ huit mois de conflit marqués par des crimes de guerre et des violations flagrantes des droits humains, dont des attaques menées sans discrimination, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des actes de torture, les forces d’opposition ont capturé et tué le colonel Kadhafi et ont pris le contrôle de l’ensemble du pays.

Le 23 octobre, le CNT a annoncé la libération de la Libye et, un mois plus tard, un nouveau gouvernement a été formé. Le nouveau gouvernement a dû immédiatement s’atteler à la tâche difficile de restaurer l’ordre, sécuriser les stocks d’armes et mettre en œuvre un processus de désarmement. Cette question du désarmement et de la nécessité de ne pas reprendre un commerce des armes irresponsable est aujourd’hui cruciale afin que la région retrouve de sa stabilité.

Les combats entre les forces pro-Kadhafi, les forces de l’opposition et les forces internationales de l’OTAN ont fait rage pendant des mois. Les forces pro-Kadhafi ont utilisé des armes non discriminantes par nature, comme des mines antipersonnel et des bombes à sous-munitions, notamment dans des quartiers d’habitation à Misratah. La Convention sur les armes à sous-munitions (2008) et la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (1997) interdisent toutes les deux ces armes. Cependant, la Libye n’est partie ni à l’une ni à l’autre. Certaines de ces munitions restent non explosées et continuent de représenter un grave danger dans les zones qui ont été le théâtre d’attaques et d’affrontements armés.

Les forces pro-Kadhafi ont également caché des chars et des équipements militaires lourds dans des immeubles habités par des civils, afin de les protéger d’éventuelles frappes aériennes de l’OTAN. Elles ont également lancé des attaques aveugles ou ciblant des civils pour essayer de reprendre Misratah et du terrain dans l’est du pays. Elles ont effectué des tirs d’artillerie, de mortier et de roquettes sur des zones habitées par des civils.

Dans son rapport sur les transferts d’armes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Amnesty International a recensé 10 États dont de nombreux États de l’Union Européenne – entre autres l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie, la République Tchèque ainsi que le Royaume-Uni et la Russie – dont le gouvernement a autorisé la livraison d’armements divers, de munitions et de matériel connexe à la Libye. En 1992, les Nations unies ont déclaré un embargo sur les livraisons d’armes à la Libye, mais il a été levé en 2003. Ainsi, en 2009, les pays de l’Union Européenne ont pu vendre pour plus de 340 millions de dollars d’armes à la Libye.

Depuis 2008, tous les États membres de l’UE doivent évaluer les demandes d’autorisation d’exportation d’armes au regard d’une série de critères, notamment du critère n° 2 de la Position commune de l’UE sur les exportations d’armes, les droits humains et le droit international humanitaire : « les États membres […] refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression interne [et] font preuve […] d’une prudence toute particulière en ce qui concerne la délivrance d’autorisations aux pays où de graves violations des droits de l’homme ont été constatées par les organismes compétents des Nations unies, par l’Union européenne ou par le Conseil de l’Europe».

Cette obligation est inscrite dans le préambule de la position commune de l’UE au même titre que leur obligation d’empêcher les exportations d’équipements militaires qui pourraient être utilisés pour mener une agression internationale ou contribuer à l’instabilité régionale. Elle est sans équivoque. A sa lumière, la plupart des transferts d’armes de l’UE posent problème, voire sont de toutes évidences irresponsables.

Une grande partie des armes lourdes recensées en Libye par les chercheurs d’Amnesty International semblent avoir été fabriquées en Russie ou en Union soviétique, en particulier les roquettes Grad, non discriminantes par nature et largement utilisées par les deux camps durant le conflit. À titre d’exemple, parmi les munitions retrouvées figuraient par ailleurs des amorces de roquettes bulgares, des mines antichars chinoises de type 72 et des obus d’artillerie italiens de 155 mm.

Le risque que des armes soient utilisées en Libye pour commettre de graves violations des droits humains a toujours été élevé, car les services de sécurité y ont fonctionné en toute impunité pendant des décennies. Le respect des normes internationales relatives à l’usage de la force et des armes à feu n’est pas entré dans les mœurs des forces de police et de sécurité, comme le prouvent les violations flagrantes qu’elles continuent de commettre. Tout au long du conflit, les forces pro-Kadhafi ont agi au mépris des règles élémentaires du droit international humanitaire, comme le principe de la distinction entre civils et combattants et l’interdiction de s’en prendre aux civils.

Le 16 mars, Iftima Ali Kirzab, 69 ans et mère de 11 enfants, se trouvait à Zawiat El Mahjoub (ouest de Misratah) lorsque les forces pro-Kadhafi ont pilonné la zone. Alors qu’elle fuyait avec plusieurs autres femmes de sa famille et deux jeunes enfants pour se mettre à l’abri, elle a été touchée par un éclat d’obus à la poitrine et aux jambes et elle est morte sur le coup.

Aujourd’hui, la situation intérieure en termes de sécurité reste préoccupante. Des milices lourdement armées agissent en toute indépendance. Certaines de ces factions ont participé à des exécutions extrajudiciaires de fidèles du colonel Kadhafi et de mercenaires présumés.

Des dizaines de soldats de l’armée régulière, de mercenaires présumés et de membres des services de sécurité du colonel Kadhafi ont été tués en toute impunité après avoir été capturés ou être tombés aux mains des forces d’opposition.

Les combattants de l’opposition et les sympathisants du CNT ont également commis des atteintes aux droits humains et des violations du droit international humanitaire, dont certaines sont constitutives de crimes de guerre.