Les Etats-Unis sont de très loin le plus grand pays exportateur d’armes au monde. Il leur est imputé environ 50% de la valeur totale des exportations mondiales d’armes. Si l’Etat américain exporte son large éventail d’armes à de nombreux pays, les Etats-Unis sont également devenus un important pays fournisseur d’armes fabriquées par d’autres pays.
Membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, les Etats-Unis jouent d’un rôle géopolitique majeur au sein de la communauté internationale. Leur position à propos du traité sur le commerce des armes (TCA) sera donc d’autant plus influente et importante par rapport aux autres Etats.
Hilary Clinton et les autorités américaines ont exprimé leur soutien à un traité sur le commerce des armes à partir seulement de 2009, alors que la précédente administration Bush s’y était opposé, votant même contre le processus une année aux côtés du Zimbabwe – étrange allié de circonstance. Comme condition à leur engagement, ils ont imposé la règle du consensus pour l’adoption du texte soit l’expression d’un accord unanime sur un futur traité. La condition du consensus leur permet d’avoir une main mise sur le processus de négociation et risque de déboucher sur un traité au contenu faible voire sur l’impossibilité même de rédiger un texte de traité. Faisant ainsi le jeu d’Etats encore plus opposés au principe d’un traité.
De plus, les déclarations des autorités américaines restent très faibles. Il en est ainsi des critères d’appréciation que fixerait le traité pour s’assurer que les armes transférées ne soient pas fournies à de mauvaises mains ni à un destinataire final qui pourrait les utiliser pour commettre de graves violations du droit international humanitaire et des droits humains.
En fait, les Etats-Unis défendent une conception non contraignante. Ils font parties de ces Etats qui veulent proposer qu’en cas de risque substantiel de violations des droits humains résultant d’un transfert le TCA oblige simplement les États « à tenir compte » du risque et ne veulent pas y inclure une obligation de refuser la demande d’autorisation de transfert d’armes. Une telle approche affaiblirait considérablement le TCA. Car même si les violations perpétrées avec les armes importées se révèlent « graves » et s’il y a un risque substantiel que les armes dont le transfert est sollicité soient utilisées pour commettre ces violations, l’État exportateur n’aurait pas l’obligation d’empêcher ce transfert.
Un autre aspect inquiétant de la position américaine à propos du traité sur le commerce des armes est la déclaration faite en 2010 annonçant l’opposition des Etats-Unis à l’inclusion des munitions dans le cadre du traité. La raison donnée pour justifier cette position est que si les transferts internationaux de certains types de munitions sont rapportés et rendus public, cela pourrait déstabiliser les relations internationales.
Cependant, l’administration américaine admet que les Etats-Unis régulent déjà de tels transferts. Le problème serait donc davantage lié aux mécanismes de transparence que proposerait le TCA. Notons que seulement 35 Etats publient régulièrement des rapports nationaux sur leurs transferts d’armes et que ces derniers reportent de telles généralités que bien souvent, ils ne permettent pas de rendre compte fidèlement ce qui est vendu, à qui et surtout pour quelle utilisation…
La législation américaine sur les armes est détaillée et complexe. Cependant, aucune disposition du droit américain ne prévoit expressément qu’une autorisation d’exportation doit être refusée lorsque les armes sont susceptibles d’être utilisées pour commettre des violations des droits humains. Les lois américaines se contentent de prévoir d’une part que les droits humains doivent entrer en ligne de compte dans les décisions d’autoriser des exportations d’armes, et d’autre part que les transferts d’armes doivent être refusés si le gouvernement destinataire commet des violations flagrantes des droit humains.
Aucune de ces approches n’est satisfaisante : la première n’est pas assez contraignante et la seconde est trop souvent utilisée comme une mesure punitive. Aussi l’argument du gouvernement américain consistant à dire qu’un traité sera toujours plus faible que leur propre législation est intenable.
La semaine dernière, les autorités américaines se sont exprimées sur leur position en vue de la prochaine conférence de juillet sur le TCA en se montrant sceptique quant à l’efficience d’un tel traité en déclarant : « Un TCA efficace pourrait permettre des échanges diplomatiques un peu plus clairs, mais il ne changera pas fondamentalement la nature de la politique internationale et il ne pourra mettre un terme aux conflits internationaux et aux conflits civils. »
Les Etats-Unis ont également réaffirmé leur volonté d’exclure les munitions du champ du traité en déclarant que leur inclusion était impossible puisqu’ils en produisent plus de 7 milliards par an.
Enfin, le droit américain comporte des dispositions, notamment en matière de sécurité nationale et de politique étrangère, qui permettent de faire passer les droits humains au second plan dans la prise de décision, comme le montrent à l’évidence certains précédents transferts d’armes autorisés. En effet, les Etats-Unis n’ont pas été très regardants sur la situation des droits humains en Colombie quand ils ont accordé une aide militaire de 50 millions de dollars en 2011 malgré les violations commises par les groupes armés gouvernementaux et paramilitaires. De même, les autorités américaines ont autorisé le transfert d’armes au Bahreïn, à l’Egypte ou encore au Yémen. Des pays qui répriment aujourd’hui leurs populations de façon meurtrière en violant le droit international et les droits humains. Entre 2007 et 2010, les Etats-Unis ont exporté pour plus de 4 millions de dollars de munitions à l’Egypte. Fin 2011, le bilan de la répression égyptienne s’élevait à 840 morts et plus de 6000 blessés. (Source : rapport MENA).
Comme nous le voyons, lors du Printemps arabe, les procédures de contrôle des exportations d’armes des Etats-Unis n’ont pas réussi à empêcher des transferts internationaux d’armes aux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, dans lesquels existait un risque sérieux que ces armes soient utilisées pour commettre de graves violations du droit international relatif aux droits humains ou du droit international humanitaire. Il est donc nécessaire que les Etats-Unis s’engagent pleinement, comme pays leader, dans le processus d’élaboration du TCA afin de lui donner une vraie effectivité. En tant que principal pourvoyeur en armes du monde, il y va de leur responsabilité. Il faut tirer les leçons du printemps arabe.